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Tome I - II - III - IV.
Traité Theologique-politique
Paris, 1907
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Internet Archive: Spinoza. |
§ 1.
Notice sur le Traité Théologique-politique.
Testo: Notice. |
Une lettre adressée par Spinoza à Oldenbourg en septembre ou octobre 1665 (lettre 30) nous donne d’intéressants détails sur la composition du Traité Théologico- Politique.
« Je m’occupe à présent, dit l’auteur, à composer un traité où j’exposerai ma manière de voir sur l’Écriture. Les motifs qui m’ont fait entreprendre ce travail sont: primo, les préjugés des théologiens: à mes yeux le plus grand empêchement qui soit à l’étude de la philosophie; je m’efforce donc de les rendre manifestes et d’en débarrasser l’esprit des hommes un peu cultivés; secundo, l’opinion qu’a de moi le vulgaire; on ne cesse de m’accuser d’athéisme, et je suis obligé de redresser autant que je le pourrai l’erreur faite à mon sujet; tertio, mon désir de défendre par tous les moyens la liberté de pensée et de parole que l’autorité trop grande laissée aux pasteurs et leur jalousie menacent de supprimer dans ce pays. »
De fort bonne heure, Spinoza s’était appliqué à la lecture de la Bible. Sa naissance, son éducation première qui fit de lui un hébraïsant, sa rupture avec la Synagogue, la liberté et la vigueur de son esprit le prédestinaient en quelque sorte à renouveler l’étude de l’Ancien Testament.
Déjà, dans l’Apologie composée au moment de son excommunication, il s’était attaqué à ce qu’il appelle les préjugés des théologiens (Juifs ou autres); sans voir dans cet écrit perdu, comme quelques-uns l’ont fait, une première esquisse du Traité Théologico-Politique, on peut admettre qu’une partie des idées contenues dans le grand ouvrage de sa maturité se trouvaient en germe dans l’Apologie. Par la suite Spinoza n’avait pas manqué de trouver.
6 TRAITÉ THÉOLOGICO-POLITIQUE
même parmi ses amis Mennonites et Collégiants, des
préjugés difficiles à déraciner concernant l’Écriture et son
autorité, invoquée en toute matière contre celle de la
raison. Il est certain d’autre part que Spinoza, bien
qu’ayant seulement publié ses Principes de Philosophie de
Descartes et ses Pensées métaphysiques , bien qu’ayant, à
Rijnsburg, jusqu’en 1663 et depuis à Voorburg, vécu
dans la retraite, avait déjà renom d’athée et de contemp¬
teur de la religion: son nom paraît avec ces qualifications
dans un factum rédigé en 1665 ; on l’y accuse d’être le
véritable auteur d’une requête présentée par Tydeman,
son propriétaire à Vocrburg et d’autres protestants libé¬
raux pour soutenir la candidature d’un nouveau pasteur
à idées jugées trop larges, et l’on ajoute que Spinoza sert
d’instrument pour faire le mal, « ainsi que beaucoup de
savants et de pasteurs pouvaient en témoigner ».
On observera qu’à cette date de 1665 les querelles reli¬
gieuses tenaient une grande place dans la vie sociale en
Hollande et que les églises calvinistes, partout où l’au¬
torité civile subissait fortement leur influence, se mon¬
traient fort enclines à T intolérance contre les religions
rivales. Les historiens hollandais, en particulier Hylkema
( Reformateurs ) et Meinsma ( Spinoza en ziju Kring ), nous
font connaître un grand nombre de mesures prises contre
les Sociniens, les Quakers, les Mentionnes, ces derniers
qualifiés de serviteurs du diable; les États de Frise pro¬
noncent contre eux une interdiction de séjour et pro¬
mettent une récompense à qui les dénoncera ; les autorités
de plusieurs villes de Zélande, Flessingue, Middelburg,
Goes, celles aussi d’Utrecht usent à leur égard de procé¬
dés rappelant l’inquisition : des questions seront posées
aux personnes suspectes de tendances anabaptistes et, par
leurs réponses, on jugera si elles doivent être considérées
comme hérétiques et traitées en conséquence; excom¬
muniées par exemple comme le fut Beelthouver, un ami
de Spinoza. Le magistrat d’Amsterdam, en 1664, inter¬
dit aux Mennonites de prêcher des doctrines socinîennes;
ailleurs ce sont les assemblées de fidèles qu’on interdit.
Et sans doute ces mesures paraissent inoffensives en
regard des persécutions qui, dans d’autres pays, frap¬
paient les dissidents dans leurs biens, leur liberté, leur
vie. La Hollande restait en Europe le pays de la tolé¬
rance et, malgré les efforts des calvinistes qui, dans leurs
écrits, réclamaient l’intervention en faveur de l’orthodoxie
du pouvoir temporel et menaçaient l’Église et l’État de
NOTICE
tomber dans le plus affreux chaos « si le juge et le prêtre,
comme autrefois Aloïse et Aaron, ne marchaient pas la
main dans la main, si le glaive ne s’unissait pas à la parole
pour combattre 1 heresie » (voir Hylkema, Réformateurs^
vol. h 180), le pays de Barneveldt et de Jean de Witt
continuait de mériter à peu près l’éloge que, sans ironie,
quoi qu en dise .Meinsma, lui adresse Spinoza dans ces
lignes de sa préface :
« Puisque le rare bonheur nous est échu de vivre dans
« un pays où une liberté entière est laissée à chacun de
« juger comme il le veut et d’honorer Dieu à sa manière... »
Cela restait vrai au moins en gros même après le procès
et la condamnation des frères Koerbagh dont l’un, Adrien,
s’était montré imprudemment provocateur.
Toutefois l’on pouvait craindre que cette liberté si
précieuse ne vînt à être abolie en cas que le parti calviniste
triomphât et les hommes d’État républicains, à commen¬
cer par le Grand Pensionnaire Jean de Witt, ne jugeaient
pas inutile la publication d’écrits où la suprématie du
pouvoir civil sur l’Église fût nettement affirmée et où les
dangers de l’intolérance fussent signalés.
De semblables écrits parurent en assez grand nombre
dans les années précédant la publication du Traité Tkéoio -
gico~Poïitique ; leurs auteurs étaient en particulier Pierre
et Jean de la Court, le premier en relation étroite avec
le Grand Pensionnaire, qui avait lui-même rédigé deux
chapitres de son livre intitulé Intereest van Holland;
Jean de Witt, son neveu ; Lambert van Velthuysen, très
attaché à la religion protestante et qui plus tard devait
être au nombre des adversaires de Spinoza, mais qui dans
son Munus pastorale avait pris position parmi des défen-
seurs du droit de l’État contre les empiétements de
1 Église; le médecin Louis Aleyer, ami de Spinoza, en qui
l’on a souvent voulu voir l’auteur de son livre Philosophia
Sacrae Scripturae interpres ; Lucius Antistius Constans,
pseudonyme probable de Pierre de la Court, dont l’ou¬
vrage sur le droit des ecclesiastiques (de Jure Ecclesiasti-
corum) a également été attribué à Spinoza.
On peut certainement rattacher le Traité Théologko -
Politique à cet ensemble de publications, et il n’est pas
douteux que si Spinoza laissa pour un temps l ’Éthique
inachevée et s’appliqua plusieurs années durant à un
nouvel ouvrage, c’est qu’il le jugeait utile eu égard aux
circonstances. Nous avons toutes raisons de croire à son
vif désir d’unir ses efforts à ceux des républicains parti-
8 TRAITÉ THÉOLOGICO-POLITIQUE
sans de la tolérance religieuse et d’un régime de liberté;
il était lié avec plusieurs d’entre eux : avec Hudde, bourg¬
mestre d’Amsterdam, à qui il écrivit plusieurs lettres
dont trois furent publiées dans les Opéra posthuma (le
nom du destinataire toutefois avait été supprimé et, dans
l’édition de la Haye, ces lettres sont encore faussement
données comme adressées à Huygens) ; avec Conrad de Beu-
ningen, secrétaire d’Êtat, et également bourgmestre d’Ams¬
terdam, protecteur des Collégiants ; avec Abraham Cuf-
feler, avocat à la Cour de Hollande, auteur d’un ouvrage
d’inspiration spinoziste intitulé Pantosophus. Nous savons
enfin qu’il professait de l’admiration et une amitié recon¬
naissante pour Jean de Witt qui lui avait fait attribuer
une pension de 200 florins et fut même accusé, dans un
libelle paru en 1672, d’avoir eu part à la publication du
Traité Théolcgico-Politiqiie , « cet ouvrage fabriqué en
enfer par le Juif renégat en collaboration avec le diable »,
Toutefois il va de soi que le livre de Spinoza est tout
autre chose qu’un écrit de circonstance; il y traite de la
liberté de pensée non dans un certain temps et dans un
certain lieu, mais en tout lieu et en tout pays; il s’élève
bien au-dessus des querelles de parti pour y exposer selon
son génie une théorie du droit de l’Êtat conçu sut specîe
aeterni ; il ne craint pas de manifester sa préférence pour
le régime démocratique, mieux fondé en raison, d’après
lui, que le régime aristocratique cher à Jean de Witt,
Enfin, dans le Traité Théologico-Politique non moins que
dans VÉthique y d’une autre façon seulement, Spinoza fait
œuvre de philosophe.
Ce philosophe est en même temps un critique. Plu¬
sieurs chapitres de son ouvrage traitent des précautions
à prendre dans la lecture de F Ancien Testament, de son
origine probable, de sa date et de son mode de compo¬
sition, La discipline particulière appelée par les Allemands
Introduction à F Ancien Testament reconnaît en Spinoza
son véritable fondateur.
Le respect superstitieux professé pour la lettre même
de l’Écriture avait jusqu’au xvn e siècle empêché l’esprit
critique de s’exercer sur les livres considérés comme
canoniques par les Israélites et les Églises chrétiennes ;
tout au plus parmi les commentateurs juifs du Moyen Age
s’en était-il trouvé un ou deux assez hardis pour élever
quelques doutes sur l’attribution à Moïse de toutes les
parties du Pentateuque ou à Josué du livre qui porte son
nom. L’incertitude même du texte en maint endroit.
NOTICE
9
les difficultés considérables de lecture qu’il présente, le
désaccord existant parfois entre le texte hébreu tradi¬
tionnel (massorétique) et d’autres textes, en particulier la
version des Septante et la traduction latine de saint Jérôme
(Vulgate), ne paraissent avoir éveillé l’attention d’aucun
érudit avant Cappel, théologien réformé français mort en
1658; dans ses livres Arcanum punctuationis revelatum et
Critica sacra, cet hébraïsant eut le mérite singulier d’éta¬
blir que la façon dont l’Ancien Testament était lu et
compris reposait sur une tradition relativement récente,
que ni les points-voyelles, ni même les consonnes du texte
hébreu ne pouvaient être considérés comme faisant partie
de la révélation primitive.
L’oratorien Morin, mort en 1659, dans ses Exercita -
tiones biblicae, avait soutenu cette thèse qu’au texte hébreux,
falsifié d’après lui en maint endroit, l’on devait préférer
le texte grec des Septante et celui de la Vulgate réellement
inspirés par Dieu. Quoi que l’on puisse penser de cette
thèse, elle témoigne d’un effort critique et pouvait inciter
à des recherches nouvelles.
Hobbes, dans son Léviathan (liv. III, chap. xxxm),
avait montré que l’étude du contenu même de la Bible
amenait à certaines conclusions touchant l’origine de
quelques-unes de ses parties : ainsi le Pentateuque ne
peut avoir été écrit par Moïse, le livre de Josué par
Josué.
^ vre si étrange où, se fondant sur un passage
de^ 1 Epitre aux Romains , il soutient la thèse de deux
créations distinctes et l’existence d’une humanité anté¬
rieure à Adam, Isaac de Ta Peyrère ( Systema theologiae
in Praedamitarum hypothesi , 1655) avait soumis le Pen¬
tateuque à un examen assez pénétrant et montré que non
seulement Moïse n’en était pas l’auteur, mais que, loin
de former un ouvrage unique, le Pentateuque était une
sorte de compilation ou plusieurs textes rédigés de diverses
manières par divers auteurs et traducteurs avaient été
artificiellement juxtaposés.
Quels qu’aient été les mérites de ces précurseurs, et
quelle connaissance que Spinoza ait eue de leurs travaux
(il avait certainement lu Hobbes dont le Léviathan fut
d’ailleurs traduit en hollandais, selon toute apparence,
par son ami Louis Meyer, et possédait dans sa bibliothèque
un exemplaire du livre de La Peyrère), on peut dire que
les chapitres vii à x du Traité Théoïogico-Politique cons¬
tituent le premier essai en forme d’une’histoire critique
« Je m’occupe à présent, dit l’auteur, à composer un traité où j’exposerai ma manière de voir sur l’Écriture. Les motifs qui m’ont fait entreprendre ce travail sont: primo, les préjugés des théologiens: à mes yeux le plus grand empêchement qui soit à l’étude de la philosophie; je m’efforce donc de les rendre manifestes et d’en débarrasser l’esprit des hommes un peu cultivés; secundo, l’opinion qu’a de moi le vulgaire; on ne cesse de m’accuser d’athéisme, et je suis obligé de redresser autant que je le pourrai l’erreur faite à mon sujet; tertio, mon désir de défendre par tous les moyens la liberté de pensée et de parole que l’autorité trop grande laissée aux pasteurs et leur jalousie menacent de supprimer dans ce pays. »
De fort bonne heure, Spinoza s’était appliqué à la lecture de la Bible. Sa naissance, son éducation première qui fit de lui un hébraïsant, sa rupture avec la Synagogue, la liberté et la vigueur de son esprit le prédestinaient en quelque sorte à renouveler l’étude de l’Ancien Testament.
Déjà, dans l’Apologie composée au moment de son excommunication, il s’était attaqué à ce qu’il appelle les préjugés des théologiens (Juifs ou autres); sans voir dans cet écrit perdu, comme quelques-uns l’ont fait, une première esquisse du Traité Théologico-Politique, on peut admettre qu’une partie des idées contenues dans le grand ouvrage de sa maturité se trouvaient en germe dans l’Apologie. Par la suite Spinoza n’avait pas manqué de trouver.
6 TRAITÉ THÉOLOGICO-POLITIQUE
même parmi ses amis Mennonites et Collégiants, des
préjugés difficiles à déraciner concernant l’Écriture et son
autorité, invoquée en toute matière contre celle de la
raison. Il est certain d’autre part que Spinoza, bien
qu’ayant seulement publié ses Principes de Philosophie de
Descartes et ses Pensées métaphysiques , bien qu’ayant, à
Rijnsburg, jusqu’en 1663 et depuis à Voorburg, vécu
dans la retraite, avait déjà renom d’athée et de contemp¬
teur de la religion: son nom paraît avec ces qualifications
dans un factum rédigé en 1665 ; on l’y accuse d’être le
véritable auteur d’une requête présentée par Tydeman,
son propriétaire à Vocrburg et d’autres protestants libé¬
raux pour soutenir la candidature d’un nouveau pasteur
à idées jugées trop larges, et l’on ajoute que Spinoza sert
d’instrument pour faire le mal, « ainsi que beaucoup de
savants et de pasteurs pouvaient en témoigner ».
On observera qu’à cette date de 1665 les querelles reli¬
gieuses tenaient une grande place dans la vie sociale en
Hollande et que les églises calvinistes, partout où l’au¬
torité civile subissait fortement leur influence, se mon¬
traient fort enclines à T intolérance contre les religions
rivales. Les historiens hollandais, en particulier Hylkema
( Reformateurs ) et Meinsma ( Spinoza en ziju Kring ), nous
font connaître un grand nombre de mesures prises contre
les Sociniens, les Quakers, les Mentionnes, ces derniers
qualifiés de serviteurs du diable; les États de Frise pro¬
noncent contre eux une interdiction de séjour et pro¬
mettent une récompense à qui les dénoncera ; les autorités
de plusieurs villes de Zélande, Flessingue, Middelburg,
Goes, celles aussi d’Utrecht usent à leur égard de procé¬
dés rappelant l’inquisition : des questions seront posées
aux personnes suspectes de tendances anabaptistes et, par
leurs réponses, on jugera si elles doivent être considérées
comme hérétiques et traitées en conséquence; excom¬
muniées par exemple comme le fut Beelthouver, un ami
de Spinoza. Le magistrat d’Amsterdam, en 1664, inter¬
dit aux Mennonites de prêcher des doctrines socinîennes;
ailleurs ce sont les assemblées de fidèles qu’on interdit.
Et sans doute ces mesures paraissent inoffensives en
regard des persécutions qui, dans d’autres pays, frap¬
paient les dissidents dans leurs biens, leur liberté, leur
vie. La Hollande restait en Europe le pays de la tolé¬
rance et, malgré les efforts des calvinistes qui, dans leurs
écrits, réclamaient l’intervention en faveur de l’orthodoxie
du pouvoir temporel et menaçaient l’Église et l’État de
NOTICE
tomber dans le plus affreux chaos « si le juge et le prêtre,
comme autrefois Aloïse et Aaron, ne marchaient pas la
main dans la main, si le glaive ne s’unissait pas à la parole
pour combattre 1 heresie » (voir Hylkema, Réformateurs^
vol. h 180), le pays de Barneveldt et de Jean de Witt
continuait de mériter à peu près l’éloge que, sans ironie,
quoi qu en dise .Meinsma, lui adresse Spinoza dans ces
lignes de sa préface :
« Puisque le rare bonheur nous est échu de vivre dans
« un pays où une liberté entière est laissée à chacun de
« juger comme il le veut et d’honorer Dieu à sa manière... »
Cela restait vrai au moins en gros même après le procès
et la condamnation des frères Koerbagh dont l’un, Adrien,
s’était montré imprudemment provocateur.
Toutefois l’on pouvait craindre que cette liberté si
précieuse ne vînt à être abolie en cas que le parti calviniste
triomphât et les hommes d’État républicains, à commen¬
cer par le Grand Pensionnaire Jean de Witt, ne jugeaient
pas inutile la publication d’écrits où la suprématie du
pouvoir civil sur l’Église fût nettement affirmée et où les
dangers de l’intolérance fussent signalés.
De semblables écrits parurent en assez grand nombre
dans les années précédant la publication du Traité Tkéoio -
gico~Poïitique ; leurs auteurs étaient en particulier Pierre
et Jean de la Court, le premier en relation étroite avec
le Grand Pensionnaire, qui avait lui-même rédigé deux
chapitres de son livre intitulé Intereest van Holland;
Jean de Witt, son neveu ; Lambert van Velthuysen, très
attaché à la religion protestante et qui plus tard devait
être au nombre des adversaires de Spinoza, mais qui dans
son Munus pastorale avait pris position parmi des défen-
seurs du droit de l’État contre les empiétements de
1 Église; le médecin Louis Aleyer, ami de Spinoza, en qui
l’on a souvent voulu voir l’auteur de son livre Philosophia
Sacrae Scripturae interpres ; Lucius Antistius Constans,
pseudonyme probable de Pierre de la Court, dont l’ou¬
vrage sur le droit des ecclesiastiques (de Jure Ecclesiasti-
corum) a également été attribué à Spinoza.
On peut certainement rattacher le Traité Théologko -
Politique à cet ensemble de publications, et il n’est pas
douteux que si Spinoza laissa pour un temps l ’Éthique
inachevée et s’appliqua plusieurs années durant à un
nouvel ouvrage, c’est qu’il le jugeait utile eu égard aux
circonstances. Nous avons toutes raisons de croire à son
vif désir d’unir ses efforts à ceux des républicains parti-
8 TRAITÉ THÉOLOGICO-POLITIQUE
sans de la tolérance religieuse et d’un régime de liberté;
il était lié avec plusieurs d’entre eux : avec Hudde, bourg¬
mestre d’Amsterdam, à qui il écrivit plusieurs lettres
dont trois furent publiées dans les Opéra posthuma (le
nom du destinataire toutefois avait été supprimé et, dans
l’édition de la Haye, ces lettres sont encore faussement
données comme adressées à Huygens) ; avec Conrad de Beu-
ningen, secrétaire d’Êtat, et également bourgmestre d’Ams¬
terdam, protecteur des Collégiants ; avec Abraham Cuf-
feler, avocat à la Cour de Hollande, auteur d’un ouvrage
d’inspiration spinoziste intitulé Pantosophus. Nous savons
enfin qu’il professait de l’admiration et une amitié recon¬
naissante pour Jean de Witt qui lui avait fait attribuer
une pension de 200 florins et fut même accusé, dans un
libelle paru en 1672, d’avoir eu part à la publication du
Traité Théolcgico-Politiqiie , « cet ouvrage fabriqué en
enfer par le Juif renégat en collaboration avec le diable »,
Toutefois il va de soi que le livre de Spinoza est tout
autre chose qu’un écrit de circonstance; il y traite de la
liberté de pensée non dans un certain temps et dans un
certain lieu, mais en tout lieu et en tout pays; il s’élève
bien au-dessus des querelles de parti pour y exposer selon
son génie une théorie du droit de l’Êtat conçu sut specîe
aeterni ; il ne craint pas de manifester sa préférence pour
le régime démocratique, mieux fondé en raison, d’après
lui, que le régime aristocratique cher à Jean de Witt,
Enfin, dans le Traité Théologico-Politique non moins que
dans VÉthique y d’une autre façon seulement, Spinoza fait
œuvre de philosophe.
Ce philosophe est en même temps un critique. Plu¬
sieurs chapitres de son ouvrage traitent des précautions
à prendre dans la lecture de F Ancien Testament, de son
origine probable, de sa date et de son mode de compo¬
sition, La discipline particulière appelée par les Allemands
Introduction à F Ancien Testament reconnaît en Spinoza
son véritable fondateur.
Le respect superstitieux professé pour la lettre même
de l’Écriture avait jusqu’au xvn e siècle empêché l’esprit
critique de s’exercer sur les livres considérés comme
canoniques par les Israélites et les Églises chrétiennes ;
tout au plus parmi les commentateurs juifs du Moyen Age
s’en était-il trouvé un ou deux assez hardis pour élever
quelques doutes sur l’attribution à Moïse de toutes les
parties du Pentateuque ou à Josué du livre qui porte son
nom. L’incertitude même du texte en maint endroit.
NOTICE
9
les difficultés considérables de lecture qu’il présente, le
désaccord existant parfois entre le texte hébreu tradi¬
tionnel (massorétique) et d’autres textes, en particulier la
version des Septante et la traduction latine de saint Jérôme
(Vulgate), ne paraissent avoir éveillé l’attention d’aucun
érudit avant Cappel, théologien réformé français mort en
1658; dans ses livres Arcanum punctuationis revelatum et
Critica sacra, cet hébraïsant eut le mérite singulier d’éta¬
blir que la façon dont l’Ancien Testament était lu et
compris reposait sur une tradition relativement récente,
que ni les points-voyelles, ni même les consonnes du texte
hébreu ne pouvaient être considérés comme faisant partie
de la révélation primitive.
L’oratorien Morin, mort en 1659, dans ses Exercita -
tiones biblicae, avait soutenu cette thèse qu’au texte hébreux,
falsifié d’après lui en maint endroit, l’on devait préférer
le texte grec des Septante et celui de la Vulgate réellement
inspirés par Dieu. Quoi que l’on puisse penser de cette
thèse, elle témoigne d’un effort critique et pouvait inciter
à des recherches nouvelles.
Hobbes, dans son Léviathan (liv. III, chap. xxxm),
avait montré que l’étude du contenu même de la Bible
amenait à certaines conclusions touchant l’origine de
quelques-unes de ses parties : ainsi le Pentateuque ne
peut avoir été écrit par Moïse, le livre de Josué par
Josué.
^ vre si étrange où, se fondant sur un passage
de^ 1 Epitre aux Romains , il soutient la thèse de deux
créations distinctes et l’existence d’une humanité anté¬
rieure à Adam, Isaac de Ta Peyrère ( Systema theologiae
in Praedamitarum hypothesi , 1655) avait soumis le Pen¬
tateuque à un examen assez pénétrant et montré que non
seulement Moïse n’en était pas l’auteur, mais que, loin
de former un ouvrage unique, le Pentateuque était une
sorte de compilation ou plusieurs textes rédigés de diverses
manières par divers auteurs et traducteurs avaient été
artificiellement juxtaposés.
Quels qu’aient été les mérites de ces précurseurs, et
quelle connaissance que Spinoza ait eue de leurs travaux
(il avait certainement lu Hobbes dont le Léviathan fut
d’ailleurs traduit en hollandais, selon toute apparence,
par son ami Louis Meyer, et possédait dans sa bibliothèque
un exemplaire du livre de La Peyrère), on peut dire que
les chapitres vii à x du Traité Théoïogico-Politique cons¬
tituent le premier essai en forme d’une’histoire critique
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