giovedì 18 gennaio 2018

Revue du droit pubblic et de la science politique: 1. Deux formes de gouvernement, par A. Esmein, 1894.

B. Home. ↔ Successivo.
Biblioteca Gallica.
Deux formes de gouvernement.

par
A. Esmein

Sommario: I. 1.1 Il governo rappresentativo in America e in Francia. - 1.2 La delega come adbicazione della sovranità nazionale. - II.

I.

x
Depuis que se sont accomplies, dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, la Révolution américaine et la Révolution française, les peuples libres de l’Occident vivent sous la forme du gouvernement représentatif. Celui-ci comporte plusieurs types nettement tranchés, puisqu’il s’adapte aussi bien à l’État républicain qu’à la monarchie constitutionnelle, puisqu’il se combine soit avec le gouvernement parlementaire, soit avec la séparation tranchée des pouvoirs, telle qu’elle existe aux États-Unis. Cependant il présente partout et toujours certains traits essentiels, qui me paraissent être au nombre de trois.

1° Le système repose sur cette idée que la nation, considérée comme souveraine, n’exerce pas elle-même aucun des attributs de la souveraineté. Elle en délègue l’exercice à un certain nombre d’autorités supérieures, les pouvoirs constitués, dont l’une au moins (une assemblée délibérante et législative), doit être élue il temps par la nation, c’est-il-dire par le corps des électeurs politiques (1). La nature de cette délégation est toute spéciale. Ces autorités, en effet, exercent les divers attributs de la souveraineté au nom de la nation et comme ses représentants, mnis en toute liberté et suivant leur propre appréciation. En dehors des limites et conditions fixées par la constitution ou par la loi, les électeurs politiques ne sauraient, pour cet exercice, leur imposer des instructions légalement impératives. Cela est évident pour le titulaire du pouvoir exécutif et pour les juges; cela n’est pas moins certain, dans le gouvernement représentatif, en ce qui concerne les députés législateurs (2). La nation leur abandonne pour un temps le libre pouvoir de légiférer pour elle et en son nom (3).

2° Ces autorités sont en principe irresponsables, et, sauf de rares exceptions, inamovibles, pendant toute la durée de leurs fonctions. C’est la condition même de leur indépendance. Cela est vrai pour le titulaire du pouvoir exécutif, pour les législateurs et pour les juges (1). Une responsabilité tendant à la révocation ne peut être organisée que pour des crimes vêritables ou dans des cas extrêmes, et alors la mise en accusation pas plus que le jugement ne sauraient appartenir à la nation elle-même, c’est-à-dire au corps des électeurs politiques. Cela ne peut se faire que par un contrôle, un’action, des pouvoirs constitués les uns SUl’ les autres (2).

3° Cette représentation est conçue, non comme un succédané du gouvernement direct de la nation par elle même, mais comme un système de gouvernement préférable à celui-ci. Ce n’est pas parce que le gouvernement direct est matériellement impossible quant aux pouvoirs exécutif et judiciaire, et parce qu’il est à peu près impraticable chez une grande nation quant au pouvoir législatif, que l’on adopte le gouvernement représentatif. C’est parce que celui-ci peut faire plus et mieux que le gouvernement direct, comme Siéyès le démontrait jadis à l’Assemblée Constituante. Lui seul peut assurer une législation éclairée, soigneusement préparée et utilement discutée, comme seul il peut procurer l’application intelligente et continue des lois. Aussi, dans ce système, la nation en masse, c’està-dire le déléguant, est-elle considérée comme légalement et naturellement incapable d’intervenir par elle-même en aucun des actes qu’accompliront ses délégués, c’est-à-dire les pouvoirs constitués (1).

1.2 Cette délégation n’est-elle pas en réalité une aliénation et une abdication de la souveraineté nationale? Dans la république représentative, la réponse est facile. Là, en effet, tous les pouvoirs sont conférés à temps, et les titulaires en sont désignés ou par le corps électoral lui-même ou par des autorités dont la première au moins, – celle dont procèdent les autres par voie de délégation ou de sous-délégation, - a été élue par le corps électoral: la souveraineté retourne ainsi périodiquement à son source. Pour la monarchie constitutionnelle, la conciliation logique est plus difficil à opérer; mais lorsqu’elle est vraiment organisée en vue de la liberté, elle présente un équilibre tel que la volonté des représentants élus à temps pur la nation est sure de triompher en définitive.

Dans ce système, la puissance des representants légaux de la nation n’en est pas moins immense. On remédie à cet inconvénient par une série de contrepoids. C’est d’abord et essentiellement la séparation des pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire, indépendants les uns des autres et juridiquement égaux, chacun sur son domaine. Ce sont ensuite des mesures de précaution qui visent séparément chacun des pouvoirs distincts.

On a introduit comme garanties: contre le pouvoir législatif, la division du corps légiférant en deux Chambres; contre le pouvoir exécutif, la responsabilité ministérielle, pénale ou politique; contre le pouvoir judiciaire, outre quelques rares et discrètes exceptions au principe de l’inamovibilité, l’institution du jury en matière criminelle.

II.

x


2.1 Critiche al sistema rappresentativo. – C’est là le système représentatif sous sa forme classique, tel que l’exposaient les publicistes anglais dans la première moitié de ce siècle (2). C’est le produit à la fois de l’évolution historique et de l’intelligence humaine. Il apparait encore à beaucoup d’esprits comme la combinaison la plus ingénieuse et la plus sûre qu’aient inventée les hommes pour organiser la liberté politique. Mais il faut reconnaître que, de nos jours, ce type tend à s’altérer. Un écrivain américain constatait récemment qu’il avait subi des déviations notables dans les constitutions votées par les nouveaux États (1). En Europe, aussi bien que dans le nouveau monde, on sent décroitre la foi dans la vertu du gouvernement représentatif. Dans les pays même qui l’ont vu naître, les esprits modérés et instruits semblent prêts à abandonner quelques-unes de ses règles, qui passaient jusqu’ici pour essentielles, prêts aussi à y introduire des éléments nouveaux et hétérogènes. Cela se manifeste surtout en quatre points.

1° L’esprit français, l’opinion moyenne du pays, parait aujourd’hui définitivement réconcilié avec la division du corps législatif en deux Chambres, qui lui fut longtemps antipathique. Les leçons du passé comme celles du présent, l’accoutumance, si prompte à s’établir chez nous, peut-être aussi le scepticisme grandissant, ont amené ce résultat. Mais, chose singulière, un phénomène inverse se manifeste chez les peuples anglosaxons. Ce sont d’abord les Anglais d’Angleterre, qui, désespérant sans doute de pouvoir jamais modifier assez profondément la vieille Chambre des Lords pour l’adapter au principe de la souveraineté nationale, entrevoient comme possible sa disparition pure et simple. Je ne rappellerai point les condamnations qui récemment ont été prononcées contre elle, dans la presse ou à la tribune: à l’occasion du home rule. On peut les expliquer par l’ardeur de la lutte et par la passion du débat. Mais, il y a un certain nombre d’années, le professeur Dicey, dans un livre profond, écrivait déjà ces paroles significatives:
« Si le gouvernement par le Parlement doit se transformer en un gouvernement par la seule Chambre des communes, on peut présumer que cette transformation se réalisera par un emploi de la prérogative de la couronne (2).»
 L’éminent publiciste parait croire ce changement si probable qu’il en recherche d’avance le mode et l’instrument.

Les colonies anglaises, lorsqu’elles ont été, dotées d’un gouvernement autonome et partieulier, ont pu recevoir des copies plus libres de la constitution nationale. Elles ont pourtant conservé en général l’institution des deux Chambres. Mais dans le Dominion du Canada, la constitution fédérative permettant à chacune des provinces ou Etats de déterminer si, pour sa constitution particulière, elle établira une ou deux Chambres, trois en ont profité pour constituer une assemblée unique (1). D’autre part, voici comment un jurisconsulte distingué considère le dualisme, dans un remarquable ouvrage sur le gouvernement de Victoria (Australie) (2). Il ne voit une véritable utilité aux deux Chambres de Victoria qu’à raison de ce fait que, pur leur mode divers de recrutement, l’une, le Conseil législatif ou Chambre haute, représente en gros le capital, et l’autre, l’Assemblée législative, représente le travail (3). « Il est évidemment nécessaire, dit-il, que ces deux grands intérêts soient dùment représentés dans le gouvernement du pays; par suite, l’état de choses actuel est satisfaisant dans une certaine mesure, en ce que toute proposition tendant à abolir l’une ou l’autre branche de la législature porte au
front cette évidente injustice qu’elle aurait pour effet d’enlever à l’un ou à l’autre parti toute voix dans l’administration des affaires. Mais, bien que la suppression de l’une des Chambres de la législature serait manifestement injuste, il serait possible qu’un amalgame des deux eùt quelque avantage. Il est peu douteux qu’on ait servilement copié les institutions anglaises. Sans doute, si les deux Chambres étaient fondues en une et que tous les memhres de la Chambre unifiée fussent élus d’après les mêmes bases, ce serait une injustice; car très certainement ce plan favoriserait un des partis plus que l’autre. Mais, comme le montre en pratique des nations d’Europe, il n’y a pas de raison pour que tous les membres du corps représentatif soient élus sur les mêmes bases. Et il est plus
que probable que les éléments qui forment aujourd’hui les Chambres séparées des Parlements d’Europe, dans leurs premiers jours, siégeaient ensemble ct constituaient des corps unifiés (1). »

Les États qui forment l’Union Américaine ont tous adopté ou conservé l’institution des deux Chambres; elle se trouve encore dans les constitutions les plus récentes. Cependant, dans quelques déviations que le système y a subies, M. Thorpe voit « l’une des tendances de la phase présente de la pensée politique, qui est d’instituer une seule Chambre législative au lieu de deux, idée qui a été soigneusement et sérieusement considérée dans la convention du North Dakota (2) ».

Il est à peine besoin de signaler la répulsion qu’a manifestée la démocratie suisse pour l’institution des deux Chambres. Aucun canton ne l’a admise et lu Constitution fédérale ne lui a fait une place que pour assurer par là l’indépendance et l’égalité des cantons (3).

2° Le gouvernement représentatif se défend mieux sur un autre point, contre un intrus qui s’efforce d’y pénétrer, je veux dire le mandat impératif donné aux députés par les électeurs, et limitant entre leurs mains le libre exercice de leurs pouvoirs. Les publicistes anglais continuent à le répudier énergiquement; ils déconseillent même tout engngement formel du candidat envers les électeurs (1). Les constitutions suisses prohibent les instructions obligatoires pour le député (2), comme la loi française annule le mandat impératif (3). Cependant quelques signes attestent ici encore une tendance au relàchement. Aux Etats Unis, le mandat impératif aurait trouvé un terrnin assez favorable, si d’autres pratiquos ne l’avaient pas rendu inutile ou incommode. En effet, les consti~ ,
tutions d’un assez grund nombre d’EtaLs particuliers conte~
naient dos dispositions portant flue cc le peuple a le ch’oit de
A’ussombler paisiblement ct sans troubler l’ordl’o, pOut’
conférm’ SUI’ le d,’oit public ct donner des instructions il ses
représentunts» (4). Même duns la seconde session du Congrès
fédél’ttl la question fut discutée de savoir si les représentants
ne devaient pas recevoir dos instructions des collèges électo~
l’aux: olle J’ut, il est vrai, tmnchée négativement, :Mnis ln
forte organisation dcs partis, la pratique des conventions de
parti ct du caUCllS ont détourné l’uttention loin de ces idées
par un dérivutif puissant (5), Cependant le mandat impératif
s’est alTi,’mé sur deux points, Depuis ln fin du XVIIlo siècle,
les électeUl’s primait’es donnent aux électeurs présidentiels
qu’ils choisissent le mandat do voter pOUl’ un candidat déter~
miné, et, bien que non obligatoire en droit, l’engagement a
toujours été tenu (6). D’nutl’e part, on a vu récemment, dans
l’État de South Dakota, ln COilVImtion élue pour rédiger la
constitution recevoir des électeurs des instructions obliga~
toires, d’ailleurs très simples (7),

Enfin en Angleterre cette année même (1893), dans les débats
sur le home l’uIe, plusieurs fois l’opposition a invoqué cet
argument que les députés à la Chambre des communes
n’avaient pas reçu de leurs électeurs le mandat de voter une
semblable mesure (1).
3° Deux autres nouveautés paraissent gagner dans l’opinion
une faveur plus décidée et plus réfléchie, à la fois dans les
démonraties extrêmes et parmi les partis modérés ou même
. conservateurs. La pl’emière c’est le l’e/erelldum, c’est-à-dire•
la règle d’après laquelle les projets délibérés et arrêtés par
les assemblées législatives doivent ou peuvent ensuite être
soumis au vote direct des citoyens : ils n’ac(!uièrent alors
force de loi quo s’ils ont réuni la majorité des suffrages. Ce
système, on le sait, Il conquis la Suisse entière canton pal’
canton, et depuis 1874 il figure dans ln constitution fédérale.
Dans les divers États de l’Union Américaine, il occupe aussi
une place plus large et plus impol•tante qu’on ne le croit généralement.
Là, en effet, si pour les lois ordinaires il ne

s~ applique que dans un certain nombre d’Etats et seulement
pour certaines catégories de lois, d’ailleurs déjà assez compréhensives
(2), partout il fonctionne pour les revisions constitutionnelles,
ou pOUl’ 10 vote des constitutions nouvelles (3). Or

les constitutions des Etats de l’Union sont si détaillées et laissent
si peu de liberté d’action aux assemblées législatives, que
leurs revisions fréquentes représentent en pratique le véritable
• mouvement législntif dnns les Etats (4). Ce n’est pas tout.

Sans parler des plébiscites césariens, que nous avons connus
en France, et qui répondent n d’uutres tendances, le procédé
du referenduln a conquis en Europe de sérieux partisans
parmi ceux qui devaient, semble-t-il, s’y montrer opposés.
Bien des hommes sérieux ont été frappés par ce fait que le
peuple suisse a exercé ce droit dans un esprit de sagesse
moyenne et de modération (1). Aussi le re(el’endul1l figuraitil
parmi les institutions nouvelles quo M. Del’naert présen ..
tait au mois de mars 1891, au nom du ministère belge catho ...
lique et conservateur, nIa Commission centrale de la revision.
Il est vrai qu’il y voyait une prérogative du pouvoir exécutif,
qui seul HUI’ait pu consulter le corps électoral SUl’ un projet de
loi ou sur une loi votée par lcs Chambres. Il est également
vrai que cette proposition n’a pas abouti j nulÎs elle n’en est
pas moins un symptôme des plus intéressants.
4° Sur une autre innovntion, démoc.rates et conservateurs
paraissent tout près de s’entenùre: c’est la l’eprésentation
légalement assurée aux minorités ùans les Chambres législatives.
L’idée fi eu une rapidE’ et beUl’euse fortune : dans les
principaux pays d’Europe il s’est formé, pOUl’ la répandre
et l’imposer nl’opinion publique, des associations où siègent
souvent les hommes les plus libéraux et les plus modérés.
JI y a pIns j malgré les défectuosités des systèmes inventés
pour en faire l’application, et qui sont ou arbitraires, commé
le vote cumulatif et le vote limité, ou très complexes, comme
le système dit du quotient électoral ou celui de la concurrence
des listes, elle s’est fait recevoir partiellement dans la
législation et dans la pratique. Ainsi, pour prendre les exemplas
principaux, ceux qui se rapportent il des élections politiques,
la représentation légale des minorités a été organisée
en Danemark, de 1855 il 1866, pOUl’ les élections au Rigsrnad.
Elle a été inscrite dans la constitution revisée de 1866 pour
les élections au Lnndsthing (2). Le Portugal l’a adoptée, en

combinant deux systèmes, dans la loi électorale du 21 mai
1884 (1). Elle vient, dans ces dernières années, d’être adoptée
par trois cantons suisses: le Tessin, Genève et Neufchâtel (2).
En Angleterre même, elle a été pratiquée dans certains collèges
(the tltl’ee cOJ’llel’ed constituellcies), de 1867 t\ 1885 (3).
Enfin c’est aussi l’une des mesures qu’a proposées le ministère
,belge, dans la revision constitutionnelle. S’il ne l’a pas fait
ÎnsCl’h’e dans le texte revisé de la constitution, i1l’éclame énOl’•
giquement son introduction dans lu loi électorale, et semble,
il cette heure, prêt il jouer son existense SUl’ cette question.
Les institutions (lue .le viens de passer en revue - assemblée
législative unique, mnndat impératif, l’eferendum, représentntion
légale des minorités - peuvent être jugées et
appréciées chacune séparément et d’après leUl’ valeur propre.
Ce n’est point cet examen que .le me propose de faire ici, Je
voudrais seulement montrer qu’elles sont contraires et nnti•
, pathiques au génie du gouvernement représentatif, parce
qu’elles appartiennent au mécanisme logique d’une autl’e
formp. de gouvernement, où elles figurent soit comme moteUl’s,
soit comme contrepoids. Introduites dans le gouvernement
représentatif classique, elles ne peuvent que détruire un
équilibre préétabli, causer des troubles de fonctionnement,
apporter peut-être des germes de dissolution.
III
Le gouvernement représentatif peut, en effet, être compris et
pratiqué d’une seconde et tout autre manière. La représentation
n’est plus alors qu’un succédané du gouvernement
direct, qui lui-même intervient par moments, comme correctif
et comme complément. Les auteurs anglais appellent cette
forme le gouvernement par délégués, simples délégués de la
souveraineté nationale et non représentants (4). Elle n’a point

reçu en France de nom propre, quoique ses tendances se soient
peut-être affirmées chez nous plus souvent et plus largement
que partout ailleUl’s, mais toujours sous le couvert du gouvernement
reprësentatif. Elle est toute en germe dans les théories
de J ean-J acques Rousseau j ses principales règles ont été
souvent revendiquées par les démocrates frunçais soit pendant
la Révolution, soit nu cours du XIXo siècle. Le principe
qui en est l’ùme n’a pas cessé, virus ou ferment, de truvailler
sourdement la démocratie moderne.
L’histoire d’ailleurs a collaboré, aussi bien que ln spécula tian
abstraite, à la construction de ce mécanisme politique. C’est en
effet par une évolution histOl’ique particulière que la démocratie
suisse s’en l’approche peu Ù peu, en l’adaptant ù ses traditions
et il ses moeurs. Je vois essayer de dégager dans sa logique
complète cette forme de gouvernement; .le l’appellerai, pour
plus de brièveté, le gOllCJel’llement semi-représentatif.
Le gouvernement semi-repl’ésentatifpoursuH un but unique:
traduire et exécuter le plus exactement possible la volonté
réelle de la nation, exprimée pHI’ III majorité des électeurs
politiques. Voici les moyens qu’il emploie.
:L 0 La nation, c’est-a-dire le corps électoral, ne pouvant
exercer pal’ elle-même les divers .attl’iouts de la souveraineté,
délègue ses pouvoirs ù des représentants généraux : ce sont
les déput.és élus pour composer le corps législatif. Leut’ devoir
essentiel est de suivre les volontés manifestées par la mnjorité
qui les a élus, et, réunis, ils forment la représentation directe de
la nation, pOUl’ tout ce qui ne leur n pas lité spécialement interdit.
Ils sont éminemment la représentation nationale, et l’on .ne
conçoit aucun autre pouvoir possédant la même qualité et
pouvant prendre le même. titre : eux seuis peuvent véritablement
parler au nom du peuple. Cette position dominante du
pouvoir législntif est l’une des idées chèl’eS a Rousseau, qui

identifiait même la souveraineté et le pouvoir législatif (‘1), Il
est vrai qu’il ne concevait aussi la souveraineté que comme
-s’exerçant par des lois générales et par le vote direct des
.citoyens (2), Mais dans la suite on fi transporté cette prééminence
du déléguant aux délégués’ j on l’a att.ribuée aux
assemblées législatives élues pur le peuple. Cela est venu
snns doute de ce que, sous la monarchie constitutionnelle, la
.Chambre des députés était le seul pouvoir issu de l’élection
nationale.
Quoi qu’il en soit, cette idée était devenue courante pendant
la Révolution, si bien que l’Impératrice l’exprima en 1808
en répondant à une députation du corps législatif, ce qui lui
valut une impériale et célèbl’o reprimande. (3). Depuis lors,
combien de fois n’avons-nous pas entendu appeler la Chambre
des députés la représentation nationale, sans l’éserve ni limite!
Voici comment Louis Blanc exposait la doctrine devant l’As’
semblée nationale, dans la séance du 21 juin 1875 : cc Lu nation,
•dans une république, étant le souverain, ln loi étant 1’expression
de sa volonté, les législateurs étant ses mandataires, toute
.atteinte portée au pouvoir législatif est une atteinte portée à la
souveraineté même de la nation (4). »
Dans le gouvernement représentatif, au contraire, chacun
•des pouvoirs constitués représente la nation au même titre,

dans la mesure de ses attributions, le pouvoir exécutif pour
gouverner, le pouvoir judiciaire pour juger, le pouvoir légisIntifpour
légiférer. Sans doute, le pouvoir législatif possède
certains droits, le vote de l’impôt cn particulier, (lui peuvent
dans certnins cns lui donner une force supérieure; mnis il n’a
pas en droit une ,?upériorité natureiIe et indéfinie, qui ferait
de lui le représentant générnl de la nation. C’est cc qu’expliqunit
Laboulaye, répondant au discours de Louis Blanc dont
j’ni cité un passage : « J’avoue, disnit-il, que je suis un peu
étonné, quand, après tant d’expériences qui ont été faites, après
l’exemple de l’Amérique, on vient soutenir ce sophisme: que
les députés sont les représentants de la nation et que par con- .
séquent, ils sont la nation. Oui, les députés sont les représentants
de ln nation, mnis ils le sont avec une fonction déterminée,
avec ln fonction législntive. Les juges qui rendent la
justice sont aussi les représentnnts de la nation et ils ont une
autre fonction, celle de rendre la justice. Le pouvoir exécutif,
aux États-Unis, qui est nommé par le peuple, est aussi un
représentnnt dela nation, il n’est pas la nation. Cette confusion
entre les représentants de la nation et la nation ellemême
est ln source de toutes les tyrannies (1). ))
• Comme l’indiquait Laboulaye,les Américnins des Etats-Unis
ont toujours repoussé ce principe, que je place en tête du régime
semi-représelliatif. Ils ont été préservés peut-être par la
forte structure de la constitution fédérale, qui sépare si nettement
les pouvoirs. Ils ont toujours considéré le pouvoir législatif
comme ayant des attributions étroitement limitées: et
une tendnnce s’accentue chez eux il les limiter de plus en
plus (2).
2° Les représentants du peuple forment une assemblée
législative unique. Cette conséquence découle nécessairement

du concept fondamental. Ln loi, en effet, ost considérée comme
la simple expression de la volonté nntionnle, que les députés
ont pour mission de traduire. Or cette volonté: ù un moment
donné, eUe est ou elle n’est pas i mais eUe ne saurait cn même
temps recevoÎl’ deux: expressions contradictoires sur un objet
donné. ,
Etllnt lIdmis le point de départ, la conclusion est h’l’ésistiblo.
Mais 10 vrai gouvernoment l’eprésentutif repose SUI’ un mItre
principe. Là ce n’est pns la nation qui dicte à ses délégués
l’expression précise de sa volonté i nu contraire, elle sereconl1nit
incapable de la formuler eUe-môme en lois i elle sait que la
loi, pOUl’ être bonne, demande une élabol’ation scientifique et
réHécllie. Elle abdique donc momentanément son pouvoh’
législatif, et confère t\ ses représentants, pour un temps donné,
le pouvoir de légiférer en son nom. Mais, comme des Cl’I’ClU’S
ou des lIbus sont possibles de la part des représentants, lu
nation constitue non pas un corps uniquc, mais deux corps
distincts qui doivent accomplir da conccrt ce tl•ll.vail dfficile.
Leur yolonté concordante étant nécessaire pour faire lu loi,
ils se contrôlent l’un l’nutre; et, lorsque s’est établi entl’Û eux
l’accord nécessaire, mais assez difficile ft obtenir, il ost il pou
près certain que ln loi n’est pus mauvaise et répond au désir
vrai du pays. Ainsi la division du pouvoÎ!’ législatif en deux
Chnm])res fournit non seulement un hon équilibre politique,
mais aussi un instrument rationnel poul’lo travail législatif.
3° Dans le gouvernement send-I’eprésentatif, l’nssemblèe
unique est nécessairement permanente. Elle seule peut
s’ajournel’, une fois constituée; et elle doit ètl’C toujours virtuellement
en exercicc) prête à reprendre sa session dès que
son bUl’eau ou sn commission intermédiaire la convoquent.
Cola vient de ce qu’eUe constitue éminemment la représentation
nationale; la nution ne saurait cesse!’ un moment d’èb’e
légalement représentée. Comment ndmettre d’ailleurs que le
pouvoit’législatif, considéré comme nécessairement dominant,
soit obligé, pOUl’ entrer en activité, d’attendre une convocation
émanant du pouvoir législatif, son sullordonné ? {( N’est-il
pas ridicule qu’un Président de la République, c’est-à-dire
du gouvel’nement dont l’essence est la souveraineté nationale,
puisse dire à la représentation nationale: « Tu n’irus pas plus

loin! ,), ct que, non content de la dissoudre, il puisse encore la
suspendre, l’ajourner (1). » C’est le système qui a été inscrit
chez nous, damo! los constitutions de 1791, de l’an III, de 1848,
et partiellement même dans celle de l’an VIII. Sans doute, on
l’a appuyé pal’ d’autres considérations tirées du principe de
la séparation des pouvoirs i mais c’est une conséquence qui
l’entre dans la logique que je poursuis.
Le gouvernement représentatif classique admet, au contraire,
que les assemblées législatives doivent siéger choque année
seulement pendant un certain nombre de mois. Tout au
moins leur session légale, celle qni forme un droit pour elles,
doit elle être ainsi limitée i pOUl’ le l’este de l’année, c’est
au pouvoir exécutif qu’il est ])on de laisser la faculté de
décider si elles doivent ou non être convoquées en session
extraordinaire. La permanence a été déjil nettement condamnée
pal’ Montesquieu: « Que si, disait-il, le Corps législatif
avait le droit de se proroger lui-même, il pourrait arriver
qu’il ne se prorogerait jamais, ce qui serait dangereux dans
le cas où il voudrait attenter il. la puissance exécutrice. D’ailleurs,
il y a des temps plus convenables les uns que les autres
pour l’assemblée du Corps lég’islatifj il faut donc que ce soit
la puissance exécutrice qui règle le temps de la tenue et de
la durée de ces ussemblées, pal’ rapport aux circonstancelil,
qu’elle connait (2). » , L’expérience a consacré la sagesse de
ces vues. :Mème aux Etats-Unis, où la constitution laisse aux
Chambres fédérales le droit de prononcer leur propre ajournement
(3), il résulte des textes et de la pratique qu’une Chambre
des représentants élue pour deux ans ne siège en réalité
que treize mois (4). En revanche, en Angleterre et en France,
les Assemblées, non permanentes en droit, deviennent presque
permanentes en fait. C’est surtout un résultat du gouvernement
parlementaire, et ce n’est pas le seul ,point, comme nous
allons le voir, sur lequel ce dernier semble se rapprocber du

gouvernement semi-représentatif, avec lequel pourtant il
forme en réalité le contraste le plus prononcé.
4° Le gouvernement semi-représentatif ne compte point
parmi ses dogmes la séparation du pouvoir législatif et du
pouvoir exécutif. Il suppose, au contraire, une autorité unique:
la représentation nationale, c’est-à-dit’e l’Assemblée législative.
(c Vous êtes la tête, disait M. Madier de Montjau en l875
à l’Assemhléc nationale, le grand pouvoir, disons mieux, la
puissance unique, puisque toute autre dérive d’eUe. Le pouvoir
exécutif, au contraire, il fant bien qu’il le sache ... n’est que
le mandataire de l’Assemblée, son délégué, il est ... notl’e
sUQordonnné (1). » Un nutre membre de l’Assemblée lui déclarait
que les constitutions de 1791 et de 1848 c( n’ont point péri
parce qu’elles reposaient sur l’institutIOn d’une assemblée
unique; elles ont péri parce qu’elles portaient l’une et l’autre
un germe de mort j pm’ce que, à côté d’une assemblée unique,
elles créaient un pouvoir exécmtifindépendant de cette assemblée
.. , 01’, 100’squ’cn présence d’une assemhlée unique vous
créerez un seconcl pouroi,. qui pou,./’{t opposer autorité Ct
autorité, il est incontestable que duns cc cas-là vous ferez
na1tre fatalement des confli.t s, et ces conflits devront être ,
tranchés ,o u pal’ des coups d’Etat parlementaIres, ou par des
coups d’Etut militaires » (2).
Cependant le pouvoir exécutif sera confié à une ou plusieurs
personnes; mais cela vient seulement de ce que l’on reconnait
l’Assemblée législative peu capable de l’exercer elle-même.
POUl’ Rousseau, c’était une incapacité de droit, qui amenait la
création d’un POUVOil’ exécutif; il décla1’ll.it, en effet, que le
législateur ne pouvnit statuor SUl’ des objets particuliers, ce
qui est l’exercice même du pouvoir exécutif (3). Pour les autres
docteurs du système que j’étudie, l’Assemblée législative

est seulement incapable en fait d’exercer la puissance exécutive.
Elle ne pourrait le faire que par des comités j et, bien
que le Long Parlement et la Convention nationale aient procédé
de cette manière, c’est une forme de gouvernement par trop
précaire et rudimentaire.
On revient donc au partage des deux fonctions. Mais si
l’on constitue un pouvoir exécutif distinct, il doit nécessairement
être le subordonné du pouvoir législatif. De là deux
conséquences.
En premier lieu, le titulaire du pouvoir exécutif devra être
nommé et choisi pur le pouvoir législatif. Cette méthode, d’ailleurs,
est pnrfaitement compatible avec le gouvernement représentatif,
comme le prouvent la constitution de l’an III et’
nos lois constitutionnelles de 1875. Mais cela suppose que le
titulaire, du pouvoir exécutif, une fois élu, devient totalement
indépendant du pouvoir législatif. Dans le gouvernement
semi-représentutif~ lIU contraire, il découle des principes (et
c’est lu seconde conséquence annoncée plus haut) que le titulaire
du pouvoir exécutif doit l’ester dépendant du pouvoir
législatif, révocable par celui-ci. Déjà Jean-Jacques Rousseau
écrivait : « Le pouvoir législatif consiste en deux choses inséparables:
faire des lois et les maintenir, c’est-à-dire avoir
• inspection SUl’ le pouvoir exécutif. Il n’y a point d’Etat au
monde Oll le souverain n’ait cette inspection, sans cela toute
liaison, tollle subordination manquant entre ces deux pouvoirs,
le dernier ne dépendrait point de l’autre (1). » De
nos jours la théorie a été portée devant les Assemblées constituantes.
En 1848, M. Grévy proposait d’en faire l’application
(2), et Louis Blanc disait en 1875 : « J’ai entendu
reprocher aux législateurs de 1848 d’avoir été trop logiques.
Ils ne le furent pas assez. Non contents de repousser l’amendement
Grévy qui nous aurait sauvés du 2 Décembre, de
l’empire, de l’invasion, non contents de créer un Président de

la République et de s’en remettre imprudemment il d’autres
qu’eux-mêmes du soin de le désigner, de telle sorte qu’il pût
invoquer le suffrage universel contre l’Assemblée comme
l’Assemblée pouvait l’invoquer contro lui, ils lui assignèrent
une longue durée de quatre ans, en un mot ils donnèrent au
pouvoir parlementnire un rival et plus qu’un rival (1). » A cette
même époque, une proposition semblable Ô. celle de M. Grévy
fut aussi présentée et soutenue par M. Naquet (2).Toutcela
parfaitement logique. Le système n’ayant pour but que de
fnire passer dans le gouvernement la volonté du corps électoral,
il ne faut, dans les organes de transmission, ni résistance
ni enchevêtrement .
• La démocratie suisse n’a pas encore suivi cette logique
jusqu’au bout, dans ses gouvernements collectifs et directoriaux.
Les membres qui composent les corps exécutifs sont
bien élus généralement pal’ l’assemblée législative, mais ils
sont irrévocables. Cependant certains traits, Çil et Ih, font
apparaitre l’idée fondamentale. Ainsi dans le canton de Berne
le Conseil exécutif doit être renouvelé toutes les fois qu’est
renouvelé lui-même le grand Conseil qui l’élit.
Le gouvernement semi-représentatif n’aUache pas une
grande importance il la responsabilité mi nistérielle (3). Celn
se conçoit aisément, puisque le titulaire du pouvoit• exécutif est
lui-même complètement responsable et l’évocable par l’assemblée
législative (4). Sa responsabilité absorbe nécessairement
et fait disparaitre celle des ministres, comme l’a prouvé
notre expérience parlementaire de 1871 il 1873. On sait, uu
contraire, que la responsabilité des ministres est, en Europe
du moins, une pièce essentielle du gouvernement représentatif,

où elle tempère l’indépendance du pouvoir exécutif, sans ln
supprimer. Elle arrive à sn dernière puissance dans le gouvernement
parlementaire, et là on a quelquefois soutenu, mais il
tort, qu’elle fnisait véritablement disparaitre l’indépendance
du pouvoir exécutif, ramenant celui•ci au l’Mede subordonné de
l’assemblée législative, comme dans le gouvernement semireprésentatif.
Cela n’est pas, car si le titulaire du pouvoir
exécutif gouverne nécessairement par l’organe d’un ministèl’e
responsable, dont l’existence est il la merci de la Chambre des
députés, il n’en est pas moins personnellement irresponsable
et légalement libre de choisir ses ministres. Toutefois deux
conceptions tendent il s’introduire qui détruiraient cet équilibre;
mais elles procèdent l’une et l’autre de l’esprit qui Il""
dicté les règles du gouvernement semi-représentatif. Ce sont
donc deux erreurs, au point de vue du gouvernement représentatif
classique.
En premier lieu, larègle d’après laquelle le ministère doit être
choisi dans le parti qui possède une majorité ù la Chambre, tend
ù être eXllS’érée ct mal interprétée. C’est simplement le seul
moyen pratique d’assuret’ au cabinet cette majorité sans
laquelle il ne peut vivre. Mais on y voit volontiers une élection
du cabinot par la Chambre des députés, élection véritable,
bien qu’elle ne se fasse pas en forme. Au Congrès
national qui vota la constitution belge, dans la séance du
20 novembre 1830,unorateur s’exprimait ainsi: « La Chambre
élective, ouvrant et fermantù volonté la bourse des contribuables,
tient dans sa main la de!:ltinée du cabinet; elle impose il
la couronne ses exclusions et sos choix: eUe élit donc en
réalité, quoique indirectement, le ministère tout entier (t).;)
Louis Blanc disait aussi en 1875 : « Aujourd’hui, si l’Angleterre
vit, politiquement, d’une vie tranquille, c’est pl’écisément
parce que l’idée de la prédominance nécessaire du pouvoir
législatif sur le pouvoir exécutif; y a tout a fait prévalu;
c’est parce que toute la puissance exécutive y est coneen-
. tr6e entre les mains d’un premier ministre qui est censé
nommé par la reine, mais qui est en réalité nommé par la
Chambre des communes, laquelle le renvoie dès qu’il lui

déplait; c’est enfin parce manière absolue du pouvoir législatif qu’un publiciste distingué
M. Bagehot, fi pu écrire avec vérité : «( En Angleterre, le
cabinet est une simple commission parlementaire (1). » Enfin
tout récemment,M. GobIet exprimait la même idée. Il en tirait
même des conséquences juridiques. Il soutenait qu’après un
renouvellement intégral de III Chambre des députés, le cabinet,
antérieurement formé et resté en fonctions, devait faire confirmer
ses pouvoirs par la Chambre nouvelle (2); il doutait
aussi qu’avant la réunion do celle-ci ce cabinet pût être dissous
et reconstitué (3).
Mais c’est là. une exagération. Le Parlument crée bien les
ministres en un certain sens, mais non par élection; seulement
par une sélection na.turelle, lorsque les partis sont arrivés à.
s’y constituer régulièrement et il. reconnaitre leurs chers. Le
droit légal de les instituer reste toujours au titulaire du pouvoir
exécutif, et lorsque le travail de sélection ne s’est pas
pleinement accompli, lorsqu’il ne s’cst pas dégagé une majorité
bien nette ou que cette majorité manque de chefs, il peut
et doit faire en réalité le choix des ministres.
Le second ahus pourrait être plus grave encore. Sous une
répuhlique parlementaire comme la nôtro, la majorité pourrait
trouver un moyen sùr, quoique détourné, pour l’évoquer le
Président. Elle pourrait refuser de parti pris sa confiance t\
tout ministère qu’il constituerait.. ~Iis ainsi dans l’impossibilité
de gouverner, il serait contraint de se démettre. C’est ainsi
qu’est tombé du pouvoir le Président Grévy. Mais, dans des
circonstances ordinaires, le droit de dissolution et l’appui du
Sénat fourniraient au Président le moyen de déjouer ce calcul.
Le gouvernement semi,représentatif qui tend à. confondre,
ou du moins ne sépare pas suJfisamment le pouvoir législatif

et le pouvoir exécutif, reconnait au contraire la séparation et
l’indépendance nécessaire du pouvoir judiciaire. Il le sépare
nettement. du pouvoir exécutif (1), et en fait une autorité
aussi forte que l’assemblée législative elle-même, par deux
institutions: l’élection des juges et le jugement par jurés. Il
ne craint plus d’élever autorité contre autorité. Cela provient
d’une constatation exacte: l’importance capitale que l’action
judiciaire a sur la société (2). Il n’en est pas moins remarquable
de voir, sur ce point, les mêmes principes reconnus par les
deux systèmes de gouvernement. Sans doute, on en tire ici une
conséquence fausse, c’est-à-dire la nomination des juges par
le corps électoral. Cela n’est point une suite nécessaire du
principe qui fait de l’autorité judiciaire un pouvoir distinct;
il suffit pour le respecter qu’elle soit indépendante de tout autre
pouvoir, et il y a des moyens meilleurs que l’élection pour
assurer cette indépendance. Mais ce sont rationnellement des
divergences secondaires, quelque importantes qu’elles soient
dans la pratique.
IV
Le gouvernement semi-représentatif, si l’on s’en tenait aux
règles relevées jusqu’ici, aboutirait simplement à ce résultat:
sous prétexte d’assurer exactement la réalisation des volontés
du peuple, il conduirait au despotisme presque illimité d’nne
assemblée unique. Mais il a aussi ses contrepoids naturels
capables de contre-balancer cette grande puissance. J’en vois
trois, outre l’indépendance du pouvoir judiciaire, dont je viens
de parler. Nous les connaissons déjà; ce sont les nouveautés
dont j’ai signalé l’invasion menaçante dans le gouvernement
représentatif. Là elles seraient des causes graves d’affaiblissement,
car le régime a déjà ses propres contrepoids; ici,
au contraire, ce sont, en même temps que.des conséquences
logiques, des freins utiles, et même nécessaires.
10 C’est d’abord la représentation légale et proportionnelle
des minorités pour l’élection de l’assemblée législative. Cette
assemblée, n’étant composée que de simples délégués chargl~s
de répéter fidèlement la volonté et, pour ainsi dire, la parole du
corps électoral, doit être, en plus petit, le reflet et la reproduction
exacte de celui-ci. Mais le corps électoral comprend les
minorités aussi bien que la majorité. Les minorités doivent
donc avoir, en proportion de leur nombre, leurs délégués
dans l’nssemblée nationale (1). Par là même, celle-ci deviendra
moins compacte. Pour tous les actes qu’elle peut librement
décider, parce qu’ils n’ont pas été prévus par le corps
électoral, elle devra tenir compte des résistances opposées
pal’ les élus des minorités, et sa propre majorité sera moins
assurée. Pour un corps presque tout puissant, c’est un affaiblissement
salutaire.
Dans le gouvernement représentatifil en est tout autrement.
Là, le corps législatif n’a point pOUl’ mission légale d’apporter
. les cohiers des électeurs et d’ètre leur porte-parole. Il
eserco on toute liberté, au nom de la nation et pal’ délégation,
cette part du gouvernement qui s’appelle le pouvoir législatif.
01’ le gouvernement, dans son ensemble comme dans toutes
ses parties, appartient nécessairement à la majot’ité du corps
électoral. C’est la règle nécessaire, ln où règne la souverai•
neté nationale, cal’ c’est la seule solution pacifique et acceptahle
plU’ tous. Si la nation gouvernait directement et pm’
elle-même, c’est la majorité seule qui ferait les lois; c’est elle
seule aussi qui opère la délégation du pouvoir législatif dans
le gouvernement pal’ représentants. On trouverait étrnllgc
sans aucun doute que lu minorité demandtit il être proportionnellement
représentée dans le pouvoir exécutif et dans le pou•
voir judiciaire; si, par exemple, dans un gouvernement collectif,
elle voulait qu’une ou plusieurs places de dil’ecteurs lui
fussent réset’vées, ou qu’un certain nombre de juges (2) fUElsent

choisis parmi ses adhérents. Elle n’a pas plus de droits à une
représentation proportionnelle dans le pouvoir législatif; car,
dans le gouvernement représentatif, les législateurs sont véritablement
des magistrats.
. En fait, la représentation des minorités introduite dans le
gouvernement représentatif serait un affaiblissement inutile
et un trouble certain dans l’action des assemblées, contre lesquelles
le système des deux chambres est une garantie suffisante.
Elle rendrait souvent presque impos’sible la formntion
des majorités compactes au sein des assemblées, déjà si difficile
même en Angleterre. Elle serait peut-être un germe de
mort pour le gouvernement parlementaire, qui ne vit que sur
ces majorités.
En bonne justice, une minorité, tant qu’elle reste telle, n’a
droit qu’à deux choses: le l’espect des droits individuels pOUl’
ses adhérents, et le moyen d’agir par la prédication et par la
persuasion sur l’opinion publique, de manière à devenir majorité
à son tour, si elle a la raison pour ellè. La liberté de la
presse, la liberté de réunion ct d’association (droits individuels)
lui fourniront largement ce moyen j mais il est certainement
désirable qu’elle puisse se faire entendre dans le
Parlement lui-même, y porter ses réclamations et ses protestations.
Pour cela elle a d’abord le droit de pétition. De plus, par
l’imperfection inévitable de nos procédés électoraux, pal’ le
fractionnement du corps électoral en circonscriptions distinctes
et peu étendues, tout parti qui n’est pas une quantité négligeable,
bien qu’il soit en minorité dans le pays entier, aura
nécessairement la majorité dans quelques circonscriptions.
Cette représentation qu’elle obtiendra ainsi, un peu au hasard,
suffit parfaitement à lu minorité; car tant qu’elle reste telle,

elle a droit il. la discussion, mais non au gouvernement. Pour
la discussion il ne faut que quelques membres, bien choisis,
dans le Parlement. Lorsque, dans le Corps législatif du second
Empire le parti républicain n’était représenté que par les
Cinq, sa protestation en a-t-elle été moins haute et son opposition
moins efficaoe ?
2° Le mandat impératif semble être la conséquence nécessaire
du principe fondamental. Si les députés sont simplement
ohargés d’exprimer la volonté des éleoteurs, ceux-ci peuvent
leur donner des ordres préois et leur •adresser des défenses
expresses. Ce n’est pas tout. Un simple délégué est naturellement
révocable par oelui qui l’a choisi; c’est ce qu’admet
le droit pri vé dans la théorie du mandat. Le droit public doit
l’admettre aussi dans le système de la simple délégation: les
éleoteurs pourront donc arbitrairement révoquer leurs députés
mandataires. Cependant cela souffre des difficultés.
Je remarque d’abord que nulle part, il. ma connaissance, on
n’a proposé la sanction la plus directe du mandat impératif,
c’est-à-dire la nullité des votes contraires émis par le député.
En second lieu, la révocation du député ne pourrait être faite
que par une opération inverse, mais exaotement correspondante
à oelle de l’élection, o’est-a-dire })ar un vote auquel
seraient admis tous les électeurs de la circonsoription, et
suivant la loi de la majorité, non pal’ l’organe d’un comité
électoral.Enfin.pour admettre le mandat impératif et l’évocable,
même ainsi entendu, il faudrait abandonner un principe qui s’est
d’abord introduit en Angleterre, qui a été proclamé ensuite
par la Révolution française et répété a l’envi pal’ les constitutions
modernes : « Les représentants nommés dans les départements
ne seront pas représentants d’un département particulier,
mais de la nation entière et il ne pourra leur être donné
aucun mandat (1). » Les électeurs d’un district ne peuvent,

en effet, ou l’évoquer ou obliger que (jelui qui les représente
seuls, non celui qui représente aussi tous les autres électeurs.
Pour que le mandat impératif fùt correct, il faudrait revenir
il l’idée de représentation littérale et particulariste, qui domina
anciennement les élections fi la Chambre des communes et

toujours celles de nos Etats généraux: les députés représentaient
d’un c6té les comtés, les villes et les bourgs, d’autre
part les hailliages,individuellement considérés; aussi n’avaient.
ils de pouvoirs que ceux qui leur étaient conférés pal’ les
électeurs. Dans le gouvernement semi-représentatif, il est natu•
l’el qu’on reprenne cette conception; et elle parnit fournil’ le
point de vue auquel se placent les Américains (1). D’uilleurs,
avec ln représentation proportionnelle des minorités, les dépu.
tés aux nssemblées législath’es ne peuvent avoir qu’un caructère
représentatif nécessairement restreint.
On peut signaler en Suisse un essai de conciliation entre
ces idées opposées. La Constitution du canton de Beme, dans
son article 24, l’econnnit que les « memlu’es du gl’und Conseil
(assemblée législative) sont les représentants dA la totalité du
peuple et non ceux des cercles électoraux où ils ont été élus.
Ils ne doivent point recevoir d’instructions’». Mais elle porte
auparavant, article 22 : « Un renouvellement intégral extraordinaire
du s’rand Conseil doit avoir lieu quand il est demandé
pur la majorité des citoyens votant dans les assemblées politiques
(collèges électoraux). Il devra être procédé fi une votation
fi ce sujet aussitôt que 8,000 citoyens actifs l’auront
demandé dans la forme déterminée pal’ la loi (2). » C’ es t ici le
corps électoral pris dans son ensemble, qui peut l’évoquer, à
la majorité et d’un seul coup, tous les députés. Mais que de
troubles une semblable pi’océdul’e ne fOl’nit-elle pas naitre dans
• un grand Etat?

3° Le mandat impératif, la révocation des pouvoirs sont
des moyens difliciles à organiser et qui garantissent assez mal
lé résultat voulu, à savoir que la loi votée soit bien conforme il
la volonté de la nation. Le l’eferendum, au contraire, parait un
procédé simple et sûr. En soumettant au vote des citoyens
les projets arrêtés par l’assemblée législative, il est acquis que
ceux-là seulement deviendront des lois qui auront réuni les
sufl’ragos de la majorité. Le l’eferendttm parait donc une pièce
essentielle du système et son meilleur contrepoids. Aussi
Rousseau le considérait-il comme toujours obligatoire (1), et il
figurait sous une forme atténuée, comme simplement facultatif,
aussi bien dans le projot de constitution présenté il la Convention
par les Girondins et qui ne fut pas voté (2), que dans la
constitution jacobine de 1793, qui ne fut pas appliquée (3).
C’est d’autre part une idée simple; de là sa diffusion progressive
dans les démocraties suisse ct américaine. Il semble
même qu’il n’y ait aucun inconvénient à le superposer au gouvernement
représentatif, comme une précaution dernière. Mais
ce serait là une illusion. l,e l’efe1’endum n’est pas seulement
un préservatif contre une législation arbitraire et mauvaise,
c’est aussi un obstacle souvent invincible à une bonne législation.
Les lois les meilleures, les plus utiles au progrès
national peuvent se heurter il des préjugés populaires et irréfléchis,
quelquefois à. raison d’une disposition d’importance
secondaire, cachée dans quelque article. C’est un fait attesté
par les historiens les mieux informés, que la Constitution des

Etats-Unis d’Amérique, si elle avait éte soumise aux suffrages
directs des citoyens, aurait été l’epoussée par la majorité (4) .. Et
cette Constitution a déjà procuré il la grande Union plus d’un
siècle de prospérité et de puissance.

Le l’efel’endilln a un autre défaut: il diminue en fait le pouvoir
délibérant des assemblées, j’entends par là leur aptitude
il. discuter utilement. Leur responsabilité décroissant avec la
possibilité du relel’endllm, et leur oeuvre n’étant point assurée
d’aboutir, la préparation et le vote des lois se. font fatalement
plus il. la légère (1).
Le l’efel’endum a pour contre-pnrtie naturelle le droit d’initintive
populaire, qui s’est également développé en Suisse.
C’est là un instrument dont le gouvernement représentatif doit
se défier plus encore. C’est un élément de trouble et de désorganisation
législative. Alors qu’il est difficile d’obtenir une
législation cohérente et pondérée avec l’initiative parlementaire,
comment l’espérer avec l’initiative populaire? Au fond,
d’ailleurs, celle~ci n’est qu’un développement du droit de pétition
appliqué aux réformes législatives: mais la pétition s’est
faite impératrice et toute-puissante; elle s’impose légalement.
Ne suffit-il pas qu’elle puisse se produire sous forme de requête
et s’imposer par sa valeur propre?
J’ai cherché il. mettre en regnrd les deux formes antinomiques
du gouvernement représentatif, avec leurs traits aujourd’hui
connus. La seconde, si elle se réalisait jamais à l’état
complet aurait, je crois, pour résultat: peu de lois et peu
d’action gouvernementale. Mais c’est là une hypothèse tellement
invraisemblable pour les temps actuels, qu’il est inutile
de l’examiner. Ce qui parait, au contraire, un danger proche
et sérieux, c’est la tentation de lui emprunter isolément telle
ou telle de ses règles, comme un expédient commode pour
résoudre certaines difficultés. Le mélange des genres est
autrement grave en politique qu’en littérature, et la logique
des organismes est peut-être la plus impérieuse de toutes.
A. ESMEIN,

Pl’ofessem’ cOllstitutionnel il. la Faculté de Droit de Paris.


 


Top.

Nessun commento: